Rockin' Squat : « Mon histoire n'a jamais été racontée par les médias mainstream »

11 décembre 2019
Mathias Cassel, alias Rockin' Squat a publié en octobre "Chronique d'une formule annoncée" (Livin' astro éditions) / Photo : doc. remis / tous droits réservés.
Mathias Cassel, alias Rockin’ Squat a publié en octobre « Chronique d’une formule annoncée » (Livin’ astro éditions) / Photo : doc. remis / tous droits réservés.

Pionnier du rap français avec son groupe Assassin, Rockin’ Squat a publié en octobre « Chronique d’une formule annoncée », un livre témoin de 30 ans de carrière artistique. L’artiste était à Strasbourg le 2 novembre dernier pour dédicacer son ouvrage. RBS en a profité pour taper la discussion avec lui.

Bon. On va être honnête : à la base, l’interview ne devait pas se faire. Le motif : des problèmes d’horaires évoqués par les organisateurs de la séance de dédicace du livre de Rockin’ Squat, « Chronique d’une formule annoncée » sorti en octobre. Publié par Livin’ Astro, l’ouvrage retrace son parcours personnel, 30 ans d’histoire d’Assassin, et 30 ans d’histoire du hip hop en France.

Lunettes de soleil, casquette blanche sur la tête, l’artiste enchaîne les signatures et échange quelques mots avec les personnes venues le voir. Comme ce père, presque 40 ans, venu avec  son fils, qui suit des cours de trompette. Le gamin reçoit les encouragements du rappeur. Puis vient notre tour. On se présente. « Ah mais RBS, je connais ! ». Et Rockin’ Squat propose :  « Si t’as de quoi enregistrer, on se pose dix minutes ».

Quel est ton lien avec Strasbourg ?

Je pense qu’on est venu ici au début des années 90, je ne sais pas si c’était sur la tournée 92-93, mais en tout cas, sur la tournée Homicide Volontaire en 95, c’est sûr et certain. Moi je suis revenu plein de fois : j’ai fais les gros festivals qui existent dans la région, plus les deux, trois grosses salles d’ici. Ouais, je me rappelle que j’ai joué ici, et ça a toujours été de très bons concerts… pour nous en tout cas (rires) !

Ton livre c’est 30 ans d’histoire du hip hop, c’est aussi 30 ans de ta vie à toi, 30 ans c’est mon âge, c’est quasiment une génération. Il y a une volonté de devoir de mémoire, d’archivages, d’histoire… Pourquoi ce livre maintenant ?

Parce-qu’on a eu le temps de le faire déjà, même si on l’a étalé sur trois ans de travail. La dynamique était partie et malgré tout ce que je fais à côté, c’était un super beau projet qu’on avait  envie d’aboutir et d’amener à bout, avec la qualité que t’as vue. C’est pour ça qu’on a pris le temps de le faire, parce-que comme je suis sur pleins d’autres projets, je ne pouvais pas bâcler ce travail, parce-que quand le livre est là, il est là pour l’éternité. Et vu ce que ça traite, c’est 30 ans de ma carrière artistique, je ne pouvais pas le faire à moitié. Et parce-que je pense qu’il était très important de raconter cette histoire. Parce-que l’histoire d’Assassin et mon histoire à moi, n’ont jamais été racontées par les médias mainstream, parce-que je n’ai jamais fais partie de leur monde, tu vois. J’ai vite refusé tout ce qu’on était obligés de faire pour être promotionné dans ce genre de média, on m’a tout de suite mis de côté…

Tu demandais à relire tes interviews notamment…

Ouais, je relisais mes interviews, je ne faisais pas de photos… Et puis surtout j’avais une vraie attitude et une vraie façon de voir ma carrière et le mouvement culturel dans lequel j’évoluais.

En parlant d’évolution, le rap underground a bénéficié d’internet pour se faire plus de place, non ? 

Mais c’est bien pour ça que j’ai décidé, il y a une petite dizaine d’années, d’apparaitre beaucoup plus, parce-que j’attendais que la France devienne une vraie culture hip hop. Et je trouve qu’elle l’est, de plus en plus. Tu vois, cette nouvelle génération, avec ces 30 ans qui sont passés, il y a des gens qui sont nés là-dedans, comme toi. Donc ça veut dire qu’ils ont les tenants et les aboutissants.

Internet a donné aussi des accès incroyables parce-que c’est comme si t’étais face à une énorme bibliothèque et que t’as le loisir de lire de la merde ou de lire des trucs très intéressants. Tu peux écouter un truc qui n’a aucun sens, comme allez chercher des pépites. Et je trouve que la scène underground française et même mondiale, parce-que moi je regarde la musique comme la musicologie et j’ai toujours une vision sur la planète entière, est très très intéressante.

Pendant longtemps, tu as caché ton visage. Aujourd’hui d’autres artistes comme Kekra ou Siboy emboîtent le pas. Comment tu perçois cette attitude à l’heure où beaucoup de choses se jouent sur l’image, notamment sur les réseaux sociaux ?

Ils ont leurs raisons. J’ai toujours été du côté de « fais ce que t’as envie de faire ». T’as même pas besoin de l’expliquer en vrai. Fais ce que t’as envie de faire, c’est ça la liberté. Je pense qu’une des définitions de l’art et de l’artiste intéressant, c’est l’artiste qui est libre. Et il doit rester libre. Malgré toute la pression sociale qui peut exister, politique, familiale… pleins de choses en fait. Après, il y a des artistes qui se montrent et qui sont aussi super intéressants. Chacun voit midi à sa porte et les gens qui sont en équilibre avec eux-mêmes, qui sont entiers, c’est eux qu’on remarque. C’est eux qui nous inspirent.

Toi, ton équilibre, tu l’as trouvé ?

L’équilibre, c’est comme l’amour. C’est à dire que même quand tu l’as trouvé, il faut toujours l’entretenir et tu peux vite le perdre. C’est jamais acquis. Donc, je le trouve parfois, c’est vrai.

Tu parlais avant de liberté. Est-ce que c’est ce que tu retiens de ta carrière ? Avoir été libre, avoir fais ce que tu voulais, comme tu le voulais ?

Pas toujours, en tout cas, j’ai travaillé pour. Je suis quelqu’un qui est arrivé, en tout cas, à avoir pas mal de trucs que je voulais obtenir. Ça m’a mis aussi beaucoup de bâtons dans les roues, mais je suis heureux, je suis en paix avec moi-même, à l’heure où je te parle. Donc pourvu que ça dure !

Je voudrais que tu me parles de la dernière photo du bouquin. Pourquoi ce choix en dernière image ?

Ah ! Alors déjà, parce-qu’elle est très belle. Et c’est tout un symbole : c’est vraiment le Assassin avec lequel on est arrivé à partir du moment où on a décidé de ne plus montrer nos têtes. Et elle symbolise toute la lutte anonyme des gens qui sont en lutte et qui vivent dans un monde parallèle, à ce monde qu’on veut nous imposer.

C’est un homme de dos, qui porte un sweat avec marqué Assassin et qui sort de l’underground…

Oui, il sort des égouts ou du monde obscur de sous la terre, mais en tout cas pour aller à la lumière. Donc c’est toujours le yin et le yang, y’a jamais rien sans rien, et toute action a une conséquence. C’est vraiment le Assassin que j’ai amené aux gens à l’époque où j’ai décidé de plus montrer ma tête.

Interview réalisée par Ophélie GOBINET pour Radio RBS