Le deuxième âge d'or du rap français ?

2 avril 2020

X-Men , Busta Flex, Stomy Bugsy, Calbo (Ärsenik), Ben-j Nèg’ Marrons (RBS, mars 2017)

« Le rap, c’était mieux avant ». On a tous déjà entendu cette phrase qui en agace plus d’un, moi le premier. Mais au fond, ça part d’un bon sentiment : celui d’inscrire le rap français dans une tradition, avec ses codes et ses références propres. C’est dans les années 2000 que cette expression s’est répandue dans les esprits et sur les t-shirts de ceux qu’on appelle les « puristes ». Mais depuis quelques années, le rap français semble renaître de ses cendres, comme le dit si bien Disiz : « Le rap c’est mieux. Wesh ! » Alors sommes-nous entrain de vivre un 2ème âge d’or du rap français ? On fait le point !

Convenons-en, les années 2000 sonnaient creux musicalement parlant dans l’Hexagone. Evidemment, des artistes chevronnés étaient déjà en place depuis des années et continuaient à servir leur clientèle en albums de qualité, mais l’industrie laissait peu de place à l’innovation, nous étions à l’air « Skyrock ». Le rap français était alors standardisé, formaté pour les radios et les chaînes de clips.

« La relève » des années 2010

Il faudra attendre plusieurs années pour qu’une jeune génération pointe le bout de son nez et insuffle un peu d’air frais dans l’industrie. Il y a 9 ans, l’émission Rap Contenders était un peu la succursale parisienne des jeunes rappeurs prometteurs. C’est à travers ces vidéos que le crew 1995 s’est fait connaître. L’année suivante, les jeunes rookies sortent leur premier maxi intitulé « La Source ». Un projet rempli de références et d’hommages au rap des années 1990, jusqu’au nom du crew qui fait référence à l’année 95.

Dans un autre style, le groupe Sexion d’Assaut sort son album « L’école des points vitaux » courant 2010. Ce projet est porté par le titre « Casquette à l’envers  » et passe sur toute les radios. En novembre le groupe décroche son premier disque de platine avec 420 000 exemplaires vendus.

Cette recrudescence de jeunes talents crée le buzz sur internet et on parle rapidement de la « Relève » pour désigner cette génération de MCs porteuse d’espoir. Aujourd’hui, on peut dire que « La relève » en était effectivement une : Le groupe 1995 a propulsé ses membres sur le devant de la scène Hip-Hop : Nekfeu est l’un des plus gros vendeur de l’industrie et Guizmo, Deen Burbigo, Jazzy Bazz et Sneazy ont pu s’appuyer sur une fan base solide pour lancer des carrières solo honorables ! La section d’assaut a elle aussi su transformer l’essai : plus personne n’ignore qui est Maître Gims qui avait produit la plupart des intrus de l’école des points vitaux. Et Black M comme Lefa ont encore de beaux jours devant eux !

Fin 2010 : Le rap français se réinvente

Jusque là, difficile de parler d’un deuxième âge d’or du rap. Les MCs francophones ont un public jeune qui pour certains n’ont même pas écouté les classiques des années 1990 et les puristes râlent (comme toujours) sur le manque d’originalité de la relève. Il faudra attendre encore quelques années avant que le hip-hop français prenne la bonne vague, celle de l’innovation ! Courant 2010, les artistes commencent à s’émanciper des médias traditionnels. Le king du Rap Game, Booba lui même entre en guerre ouverte contre Skyrock, PNL déchire tout avec leur « Cloud Rap » et une communication made in street et des MCs comme Orelsan et Vald parviennent à casser l’image forcément street des rappeurs, et rendent ainsi accessible le hip hop à toute une partie de la jeunesse qui n’arrivait pas à s’y identifier. Certains parlent alors « Rap de iencli »

L’afrotrap est également en pleine explosion durant cette période, portée par deux grands artistes actuels que sont Niska et MHD. Ils apportent les sonorités africaines aux sonorités trap que la France copie sur les MCs américains. Le résultat de ce mélange ? « C’est la puissance ! », et des millions des vues.

Enfin le rap français innove, ça faisait longtemps que les codes du rap n’avaient pas autant évolués et que l’industrie tournait en boucle. Les groupes indépendants ont rebattu les cartes et tous les rappeurs déjà présents ont dû se mettre en danger pour suivre la cadence. A partir de 2017 les rappeurs français squattent toutes les places dans les classements de ventes et de streaming.

Un vent de l’est venu de Bruxelles

La Belgique était jusque-là restée en retrait rapologiquement parlant. Début 2012, le rappeur Scylla décide de mettre BX sur la carte et sort son titre « BX Vibes ». Ceux qui n’aiment pas la Belgique vont s’y faire !

« Tu me verras porter le drapeau de ma ville, quitte a prendre le râteau de ma vie »
(Scylla, BX Vibes)

Alors que toutes les maisons de disques françaises l’incitent à masquer son identité belge, le rappeur de Bruxelles décide d’en faire autrement et le temps lui donnera raison. En quelques années, un florilège d’artistes talentueux émergent de Belgique et se font rapidement connaître en France. En 2017, c’est au tour de Damso de rendre hommage à BX avec son titre « Bruxelles Vie », 34 millions de vues.

Et une fois encore, le rap francophone bénéficie d’une nouvelle impulsion venue de Belgique avec de nouvelles sonorités, de nouvelles influences. Aujourd’hui plus un festival ne se fait sans qu’un rappeur belge ne viennent faire sauter les foules, de Roméo Elvis à Caballero et JeanJass en passant par le prince Isha, le rap français est devenu rap francophone.

C’est cette accumulation de nouvelles influences qui a permis au rap francophone de sortir de son sommeil artistique pour proposer au public de nouvelles choses. En 10 ans, l’évolution s’est faite aussi bien sur le plan musical que dans sa communication. Les radios ont toujours un rôle important dans le développement de la musique mais les rappeurs se sont réappropriés l’industrie et ont fait sauter les verrous.

Alexandre MAHLER